Voie ouverte
je rêve de la maison de mes grands-parents, en Charentes, ma Heimat qui n'est plus. mais cela s'arrête précipitamment, comme dans l'autre monde, que le rêve ne continue pas. pourquoi s'est-il arrêté d'être rêve? j'aurais évité toute forme de savoir qui est une tristesse dans l'autre monde et n'existe pour ainsi dire pas dans le rêve - où la patrie me donna de ses nouvelles.
départ La Rochelle. sur l'A86 direction Créteil. ça bouchonne. plaisir à regarder la ville se dérouler sur du 10 km/h. un poids lourd est arrêté sur les chevrons blancs indicateurs d'une sortie de route. je tourne la tête. il dort à son volant. 1h pour rejoindre l'A6. je reste sur mes positions. on a le temps. radio autoroute FM. une voix féminine dit je n'ai pas de difficultés à vous signaler. on perd la fréquence. une voix masculine dit les trois points noirs. on entend encore A10. plus rien. il faudrait que je revienne en arrière. le signal oscille entre la météo et une musique nostalgique pour salon de coiffure. tout se passe comme si on ne voulait pas que je m'en aille de la couronne. je décide de prendre la N7 Orly. Rungis. d'ailleurs vu un camion des Halles. puis N445. passé Athis-Mons. Brétigny-sur-Orge. quelle est la différence avec nos villes du Nord-Est? passé un panneau Fleury-Mérogis. il ne faut pas croire qu'on avance beaucoup plus vite et j'ai le temps de voir une vieille femme se curer les dents à son volant. puis on récupère la Francilienne. ça roule. achat d'un atlas routier pour mises à jour des numérotations. en ligne droite. inscription route prudence véhicule arrêté à 2 km. victime d'un assoupissement en cinquième. je ne sais pas combien de temps ça me dure, mais je ferme les yeux pendant que la route continue en demi-teintes très-évasives. seulement des lignes phosphorescentes. ou peut-être que je confonds tout ceci avec un rêve récent? quand j'ouvre à nouveau les yeux, à nouveau la route, et un peu plus tard la sortie sur une aire de repos obligatoire où je verrai un camionneur remplir ses gallons, des chênes rouvre, une femme à la table pique nique et ses deux caniches mordant une laisse chacun. reparti. P me parle, aussi pour me garder éveillé. juste avant l'entrée Tours et ralentissement 110 puis 90 km/h, on surprend un ballet d'aviation, probablement des élèves pilotes dessinant des courbes dans le ciel, la piste d'atterrissage est à droite, c'est un aéroport, ça ressemble à une base militaire. la Loire. arrêt sur l'aire de Maillé. je me trompe et gare la voiture du côté des poids lourds. un 10 roues s'arrête juste à côté. à la fontaine devant les W.C. un routier en débardeur fait ses ablutions. un jour penser à s'arrêter à Fontevraud et Saint-Savin, et aussi au musée de l'automobile de Châtellerault pour voir si c'est bien le même musée que j'avais visité en culotte courte avec mon grand-père. on fait un crochet par la nécropole de Bougon. de Bougon nous savons très peu, moins que les sanctuaires de Çatal Höyük. mais ici l'archéologue a classé les tumulus. tumulus A. tumulus B. tumulus C. tumulus D. tumulus E. tumulus F. on se reportera facilement aux descriptions muséales reportées sur Wikipédia. pour ma part ai noté 1 crâne doublement trépané en tumulus A. les restes d'1 enfant en tumulus B. 4 individus déposés en tumulus C. 1 sépulture simple 1 enfant, 1 sépulture double 1 adulte 1 enfant, 1 sépulture triple 2 adultes 1 enfant en tumulus D. 1 mandibule humaine en tumulus E. 1 mâchoire de chien en tumulus F. ici on peut rêver aux parois vierges de tout pigment, et faire monter le silence des morts, ce qui revient à marcher entourés des chênes verts, marcher où les millénaires ont enseveli les pierres sur les pierres, ici où les morts ont monté ces mêmes pierres en sphères, en cônes, en espaliers, en couloirs, tourelles et culs de four. au demeurant quand on quitte les bois, on quitte le silence primitif où la suite des âges semble s'étendre dans l'imperturbable répétition du même. pas moins. pour cela je ferai toujours un crochet par Bougon. de nuit nous voici à La Rochelle. et à la radio on entend un enregistrement de en 79 à Copenhague. et pour nous arrivant de nuit à La Rochelle, c'est silence absolu, ralentissant, écoutant au plus près cette voix feutrée au tempo inégalable, puis le souffle de flügelhorn et cette leçon de faire sonner la mélodie avec deux notes coolées, quelques appoggiatures, un arpège, pas plus, juste tout dire avec les moyens du bord. lui qui disait jouer la mélodie comme si c'était la dernière. lui qui avait eu la mâchoire salement démolie et s'était retrouvé à travailler dans une station-service. lui qui pour finir avait tout repris à zéro quand on le persuadait que l'affaire était close.
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04/01/10 nuit
en accompagnement nuit :